[Avocat à la Cour, arbitre à la CAMED dans le cabinet LBM Avocats]
Comment suivre ses proches âgés vivant en établissements afin d’éviter les maltraitances ?
Certains groupes d’établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) semblent parfaits de l’extérieur alors qu’en réalité, leurs personnels peuvent être en sous-effectif et/ou insuffisamment formés et la prise en charge peut être défaillante. Le contrat conclu souvent à des conditions financières élevées fait naître des droits et des obligations de part et d’autre. D’où la nécessité de bien relire et de comprendre le contrat de séjour qui peut contenir des clauses abusives également sur la résiliation notamment aux torts du patient mais aussi ses avenants postérieurs.
Avoir un proche en maison de retraite nécessite de surveiller une prise en charge de qualité, la nutrition, le respect de la dignité de la personne et du secret professionnel, etc. en suivant et en accompagnant bien la personne vulnérable. Le diable se cache alors souvent dans les détails.
Il s’agit donc d’être attentif et vérifier ce qui se passe à l’intérieur de l’établissement, de pouvoir aider activement aux soins, d’améliorer et de corriger ce qui ne va pas. Surtout, il faut signaler ces manquements aux soignants et au directeur de l’établissement. Pour être entendu et que la situation s’améliore, il est important d’avoir un contact cordial et régulier avec la direction, d’entretenir des relations constructives avec le personnel aidant et soignant, dans l’intérêt du résident. La confiance n’exclut pas la vérification.
En cas d’incident, les remarques énoncées seront mieux perçues par les responsables et le personnel soignant. Et lorsque les proches vivent dans un établissement éloigné géographiquement, il est aussi essentiel de trouver des personnes-relais pour s’occuper sur place des relations entre l’EHPAD et rendre visite à nos proches vulnérables.
Cela a été le cas lors du premier confinement de 2020. Un aumônier par exemple a pu rendre visite à la personne âgée, à la demande de la famille, pour lui donner de ses nouvelles. Afin d’éviter l’isolement dans lequel s’étaient alors trouvées les personnes âgées au début de la crise sanitaire, une proposition de loi vise à inscrire (de manière impérative) le droit de visite en établissements. Nous, avocats spécialisés, espérons qu’elle sera au plus vite adoptée, pour garantir un droit nécessaire de visite aux patients et résidents des établissements et hôpitaux.
Autre point de vigilance : nous conseillons aux familles de lire attentivement le contrat conclu avec l’EHPAD car ce dernier peut receler des clauses abusives, entièrement discrétionnaires. Pour exemple, dans le cas où l’état de santé mental d’un résident se dégraderait, il peut être discrètement stipulé dans le contrat de séjour que celui-ci soit transféré dans des services d’hébergement à la surveillance renforcée. Certes, si un patient devient dangereux, les dirigeants des EHPAD ont besoin et doivent pouvoir effectuer des transferts (car ils n’ont pas le personnel formé ni même parfois le matériel adapté), mais en aucun cas de façon unilatérale et abusive.
Il est également important d’avoir une relation de confiance, une alliance thérapeutique avec le médecin coordonnateur qui travaille directement avec les établissements. Son rôle est crucial car ce praticien peut évaluer le patient en fonction de son état de santé et son comportement : une peur, une agressivité soudaine, une attitude renfermée, une perte de poids peuvent être des signes de maltraitance. Il peut être alors le premier à alerter la direction et la famille.
Quel est votre rôle d’un avocat pour défendre les résidents ?
J’interviens pour soutenir les familles dans leurs litiges relatifs au droit des résidents en EHPAD, des maisons de retraite, des hôpitaux tant en conseil, en prévention d’un contentieux possible qu’en cas de différend ou encore pour porter plainte si un accident médical s’est produit.
Je les accompagne et travaille également comme bénévole avec des associations de patients, comme par exemple « Hôpital 2000 » pour lutter contre la douleur en milieu hospitalier et « Urgences » pour aider à la sensibilisation des soins palliatifs afin que ceux-ci soient toujours de meilleure qualité et permettent aux patients de se sentir davantage soutenus.
La formation et l’éthique des pratiques soignantes s’améliorent, mais le rapport de force reste déséquilibré à l’hôpital ou en EHPAD entre le soignant qui est debout et le patient/résident en face de lui, couché et fragilisé. Une déontologie de la responsabilité est alors indispensable pour obtenir un dialogue et prise en charge de qualité.
Quand faut-il faire appel à un avocat ?
Lorsque la relation se dégrade ou dès que des défaillances sont constatées, on peut lui demander conseil pour ne pas subir ou rester inactif.
J’insiste sur le fait que les familles doivent s’investir dans la relation avec les soignants, être présents au maximum pour construire une relation de confiance et de bienveillance réciproque avec les équipes. Quand les établissements ont été fermés aux visites lors du premier confinement, des syndromes de glissement se sont produits chez les résidents, inquiétant à juste titre leurs proches.
Certains ont donc fait appel aux avocats, facilitateurs du dialogue afin d’établir un contact de manière plus délicate, d’entrer en médiation avec le personnel de l’établissement. Aussi notre rôle est parfois de forcer le dialogue, car dans certains EHPAD, les directeurs peuvent être parfois rigides : ils ne souhaitent pas favoriser l’écoute, le dialogue, le consentement libre et éclairé.
Dans ces cas, les familles ou leur avocat doivent insister pour comprendre le pourquoi des décisions médicales, les changements de traitements sans concertation avec, envisager les autres moyens à disposition pour éviter de transférer un patient dans un autre établissement.
Les familles s’en rendent compte en raison des signalements faits par la direction et perçus comme des menaces, pour un transfert dans un établissement plus lourd en termes de dépendance psychologique et de surveillance. Faute de rencontre avec le directeur et en l’absence d’échanges d’informations, l’inquiétude et l’angoisse peuvent rapidement s’installer. Si cela se passe mal, il ne faut alors pas hésiter à changer d’EHPAD et choisir un établissement dans lequel les dirigeants et soignants seront plus souples et ouverts au dialogue.
Les familles doivent-elles se rapprocher des médecins des EHPAD ?
Le médecin coordonnateur travaille souvent avec le directeur et les équipes soignantes. Les familles doivent faire attention à d’éventuelles collusions, au détriment de leurs proches. Elles doivent montrer qu’elles sont fortes, présentes, et si elles ne sont pas en désaccord, le justifier par des faits précis.
Dans un cas précis où le médecin traitant de la personne âgée était absent, nous avons fait intervenir un médecin gériatre extérieur qui a pu effectuer une expertise judiciaire. Celui-ci a pu affirmer que la personne n’était pas sénile et ne nécessitait donc pas un transfert d’autorité en UHR (Unité d’Hébergement Renforcé), ce qui a rassuré la famille et lui a donné des arguments pour transférer leur père dans un autre établissement et éviter les tensions avec le personnel de l’EHPAD où il résidait. Tout s’est bien passé pour ce monsieur. Toutefois, il est parfois difficile de trouver des places dans un autre établissement à proximité, surtout dans un territoire sous doté.
Pour les proches qui vivent à domicile, quel peut être votre rôle pour éviter la maltraitance ?
À la maison, la vigilance s’impose pour les personnes âgées, qui bénéficient d’aides pour rester à domicile. Plusieurs auxiliaires de vie, parfois mal payés et/ou peu formés, qu’on ne connaît pas très bien vont se succéder, avec à la clé de potentiels abus de faiblesses, voire même une non exécution correcte de leur mission.
Le mieux sera d’exercer une surveillance sur place, de vérifier les comptes, quitte à demander une mesure de protection, comme par exemple à l’hôpital une sauvegarde de justice, et à la maison une curatelle simple ou renforcée, voire une mise sous tutelle si la personne est inconsciente ou s’il y a des désaccords avec la famille. Et ce, pour garantir une impartialité. L’avocat est là pour saisir le juge si nécessaire et demander le cas échéant la nomination d’un expert.
Que faire de plus pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées en EHPAD ou à domicile ?
Le droit des patients a considérablement évolué aussi bien sur le plan individuel que collectif. Les associations de patients sont désormais représentées dans les institutions, comme la Haute Autorité de Santé (HAS) notamment. Elles peuvent donc peser dans les décisions, faire en sorte que les bonnes pratiques soient respectées, être impliquées dans la gouvernance, représenter des usagers pour peser sur les décisions et éviter les dérives.
Nous sommes tous co-responsables des uns des autres pour nos aînés qui deviennent personnes vulnérables. Selon le mot de Thomas Merton "nul n'est une île". Compétence, collégialité et humanité sont les maîtres mots de ce domaine si puissant qu’est la médecine.