L’acronyme ECMO, connu du monde médical depuis des dizaines d’années, est maintenant entré dans le langage courant depuis la pandémie COVID-19. Il est défini par "extracorporeal membrane oxygenation" (en anglais) ou "oxygénation extra corporelle" (en français).
Cette assistance permet une suppléance des fonctions cardiaques et/ou pulmonaires. Aussi, il est important de saisir que l’acronyme ECMO comprend deux principales techniques.
D’une part, elle est dite veino-veineuse (ECMO VV) lorsqu’elle assure la fonction d’échanges gazeux à la place des poumons tandis qu’on la nomme ECMO veino-artérielle (ECMO VA) lorsque cette machine supplée à la fois les poumons et le cœur. Le cas particulier de la circulation sanguine extra corporelle en chirurgie cardiaque permettant la vascularisation des organes en périphérie malgré une cardioplégie (arrêt transitoire du cœur par une solution injectée dans les artères coronaires) ne sera pas traité dans cet article.
ECMO : Oxygénation par membrane extracorporelle (Extracorporeal membrane oxygenation)
Technique de médecine contemporaine : depuis combien de temps l'ECMO est utilisée ?
Nous devons le développement de cette assistance au chirurgien américain John Heysham Gibbon (1903-1973) qui, en 1952, a réalisé la première opération sous cœur poumon artificiel. Initialement étudiée principalement dans le cadre du bloc opératoire, c’est en 1974 que la première implantation d’une ECMO veino-veineuse (ECMO VV) a été réalisé dans le traitement d’une insuffisance respiratoire aiguë chez un nouveau-né.
Bien qu’encourageantes, les études publiées au décours ne retrouvent pas d’efficacité à cette technique et conduiront à son abandon à la fin des années 1970 [1].
Près de 30 ans plus tard, un regain d’intérêt naît pour cette suppléance grâce à trois études successives [2, 3, 4] qui démontrent l’intérêt de cette thérapeutique dans la prise en charge des syndromes de détresse respiratoire aiguë sévère (SDRA), après échec des thérapeutiques habituelles.
Cette technique est maintenant accessible dans beaucoup de centres, et elle peut être implantée au lit du malade. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’étude française EOLIA [4] diligentée par l’équipe des Hôpitaux Universitaires Pitié Salpêtrière, publiée dans le New England Journal of Medecine en 2018. Cet essai clinique retrouve une tendance pour une meilleure survie chez les patients atteints d’un SDRA sévère avec critères de gravité.
Comment fonctionne la machine ECMO (veino-veineuse et veino-artérielle) ?
Il existe deux grands types d’ECMO : l’ECMO veino-veineuse (ECMO VV) lorsque le patient présente une défaillance respiratoire isolée et l’ECMO veino-artérielle (ECMO VA) lorsque l’atteinte est cardiaque.
Dans le cas d’une insuffisance respiratoire aiguë, le principe est simple. Grâce à l’ECMO, il existe une suppléance transitoire des poumons par la fonction d’échanges gazeux artificiels.
Procédure de l'ECMO : comment ça marche ?
Pour effectuer cette mission, la technique la plus répandue consiste en l’introduction d’une canule (cathéter de gros calibre) de drainage depuis la veine fémorale droite ou gauche jusqu’à l’abouchement de la veine cave inférieure.
En revanche, la canule de retour placée le plus souvent au niveau de la veine jugulaire interne droite ou plus rarement au niveau de la veine fémorale (opposée à la canule de drainage de préférence) est courte (15 à 20 cm) et non mobilisable. La technique à privilégier dans le cadre de l’ECMO veino-veineuse est bien l’abord fémoro-jugulaire qui présente une meilleure efficacité que l’abord fémoro-fémoral.
Ainsi le sang désoxygéné issu de la circulation sanguine du patient est aspiré par le biais d’une pompe centrifuge, passe à travers une membrane permettant à la fois l’oxygénation et la décarboxylation puis sera réadministré au patient via la canule de retour. La circulation sanguine du patient devient donc extra corporelle. La figure 1 issue d’un cas clinique publié dans le NEJM (The New England Journal of Medicine) permet une approche visuelle du montage de cette assistance.
Le principe de l'ECMO veino-artérielle est plus complexe. Lorsqu'un patient souffre d'une défaillance cardiaque aiguë, le stade ultime est le choc cardiogénique réfractaire. L'un des traitements qui peut être proposé dans ce contexte est l’ECMO veino-artérielle.
Tout comme dans le cas de l’ECMO veino-veineuse, il existe une canule de drainage positionnée dans la veine cave inférieure aspirant le sang désoxygéné grâce à une pompe centrifuge. Le sang est ensuite oxygéné et décarboxylé par la membrane puis est réinjecté au patient au niveau aortique à contre-courant par une canule de retour localisée au niveau de la grosse artère fémorale.
Ainsi nous comprenons bien que dans le cas d’une ECMO veino-artérielle appelée aussi ECLS (extra corporeal life support), la machine permet de suppléer une défaillance respiratoire (car réinjection de sang oxygéné) mais aussi cardiaque (car remplace la pompe cardiaque en irriguant les organes). Le flux sanguin n’est alors plus pulsatile mais continu. La figure 2 issue d’une société savante australienne schématise le montage de l’ECMO veino-artérielle.
Bien qu’extrêmement séduisante en termes de physiologie, l’ECMO est grevée d’une morbi-mortalité importante avec de nombreuses complications comme un risque hémorragique majeur (nécessité d’une anticoagulation curative associée à la consommation par le circuit des éléments de coagulation comme le fibrinogène), un risque infectieux important (avec des canules pouvant rester en place plusieurs semaines) et un risque ischémique (dans le cas de l’ECMO veino-artérielle avec occlusion de l’artère fémorale par la canule de retour nécessitant l’implantation d’une canule de revascularisation en aval).
Réanimation, atteinte cardiaque,... : dans quels cas et pour quels traitements l'ECMO est réalisée ?
Comme chacun a pu le constater depuis le début de l'année 2020, la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a permis la médiatisation d’un syndrome qui était jusqu’alors l’apanage des seuls médecins réanimateurs. Plus qu’une simple maladie respiratoire, la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) peut entrainer des lésions pulmonaires pouvant créer un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).
Le SDRA est comme son nom l’indique un syndrome associant une détresse respiratoire évoluant depuis moins de 7 jours et une atteinte radiologique bilatérale dont la participation cardiogénique n’est pas principale. Avec une mortalité de 20 à 30%, le SDRA est une maladie largement étudiée. Les causes de ce syndrome sont diverses et notamment infectieuses (bactérienne ou virale). Le traitement de ce syndrome repose sur deux piliers avec d’une part le traitement étiologique (antibiotique le plus souvent si la cause est bactérienne) et d’autre part la ventilation protectrice.
L’ECMO dans ce cas veino-veineuse trouve ici une place importante lorsque les thérapeutiques habituelles (intubation trachéale, curarisation, décubitus ventral) deviennent insuffisantes. En suppléant presque totalement les poumons, l’ECMO permet les échanges gazeux dans l’attente d’une récupération pulmonaire. Nous comprenons bien que l’ECMO dans cette indication est une thérapeutique de sauvetage à mettre en place en dernier recours lors d’une maladie respiratoire aiguë extrêmement évoluée.
L’ECMO veino-artérielle permet de pallier transitoirement à une défaillance cardiaque. D’abord utilisée en peropératoire et post opératoire de chirurgie cardiaque lorsqu’une sidération du myocarde empêchait une reprise d’activité suffisante, l’ECMO veino-artérielle est maintenant initiée dans de nombreuses autres indications. L’indication principale est donc la myocardite fulminante qui peut entrainer un choc cardiogénique et toucher des patients de tout âge sans antécédent notable.
Grâce à l’ECMO, cette maladie peut bénéficier d’une assistance transitoire dans l’attente d’une récupération ou d’une éventuelle greffe cardiaque. L’intoxication aux bêta-bloquants ou autres médicaments cardiotropes stabilisateurs de membranes prescrits pour lutter contre les arythmies et l’hypertension artérielle peuvent aussi entrainer un choc cardiogénique nécessitant parfois l’implantation de ce type de dispositif à la phase initiale de réanimation.
De plus, de récentes études retrouvent un bénéfice à cette assistance lors d’un arrêt cardio respiratoire réfractaire (ou arrêt cardiaque réfractaire) avec une place encore discutée dans les algorithmes de prise en charge. Toujours dans l’objectif de diminuer la durée de no et low flow, des équipes du service d'aide médicale urgente (SAMU) de Paris travaillent actuellement sur l’intérêt de la mise en place en pleine rue de ce type de dispositif.
Pour finir, nous pouvons aussi citer le choc obstructif sur une maladie fréquente qu’est l’embolie pulmonaire massive qui peut être une bonne indication en association ou en cas d’échec à une thrombolyse.
Il n’existe pas de contre-indications strictes à la mise en place d’une ECMO mais plutôt des faisceaux d’arguments en faveur ou défaveur de cette technique. De plus, cette technique doit être réservée à des cas très particuliers de sauvetage. Elle doit être mise en place précocement, surveillée précautionneusement et son ablation discutée chaque jour pour amélioration ou caractère déraisonnable.
ECMO et COVID-19
Comme explicité précédemment, la Covid-19 peut entrainer une insuffisance respiratoire dont le stade ultime est défini par le syndrome de détresse respiratoire aiguë. Tout comme pour l’indication de l’ECMO dans le SDRA non Covid-19, les études scientifiques sont contradictoires concernant le bénéfice apporté par cette technique de suppléance d’organe.
Les résultats disponibles sont principalement le fruit d’études observationnelles ou rétrospectives difficiles d’interprétation et sources de biais. Toutefois, les auteurs d’une étude observationnelle multicentrique (plus de 30 pays ont participé) récemment publiée dans le British Medical Journal se sont intéressés de près à cette problématique [7].
Pour démontrer le gain de survie apporté par l’ECMO chez les patients atteints d’une infection à Covid-19 grave, les auteurs ont inclus 7345 patients dont 844 avec ECMO. Les résultats de cette étude de grande envergure, bien conduite, retrouvent une baisse de mortalité de 7,1% chez les patients atteints d’un SDRA dû à la Covid-19 grâce à l’ECMO (intervalle de confiance : -8,2% -6,1%).
L’ECMO est une technique de suppléance cardio-pulmonaire ancienne, robuste, fiable mais risquée qui nécessite des centres spécialisés pour sa mise en place et sa surveillance. Le Covid-19 a entrainé un afflux sans précédent de patients potentiellement éligibles à cette suppléance. L’indication doit être discutée de manière collégiale devant le caractère invasif de cette technique, la durée prolongée d’hospitalisation prévue (supérieure à 15 jours en moyenne), le coût (plusieurs dizaines de milliers d’euros [8]) et l’aspect éthique.
Sources
Zapol WM, Snider MT, Hill JD, Fallat RJ, Bartlett RH, Edmunds LH, et al. Extracorporeal membrane oxygenation in severe acute respiratory failure. A randomized prospective study. JAMA. 16 nov 1979;242(20):2193‑6. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/367396
Peek GJ, Mugford M, Tiruvoipati R, Wilson A, Allen E, Thalanany MM, et al. Efficacy and economic assessment of conventional ventilatory support versus extracorporeal membrane oxygenation for severe adult respiratory failure (CESAR): a multicentre randomised controlled trial. Lancet Lond Engl. 17 oct 2009;374(9698):1351‑63. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19762075/
ANZIC Influenza Investigators, Webb SAR, Pettilä V, Seppelt I, Bellomo R, Bailey M, et al. Critical care services and 2009 H1N1 influenza in Australia and New Zealand. N Engl J Med. 12 nov 2009;361(20):1925‑34.
Combes A, Hajage D, Capellier G, Demoule A, Lavoué S, Guervilly C, et al. Extracorporeal Membrane Oxygenation for Severe Acute Respiratory Distress Syndrome. N Engl J Med. 24 mai 2018;378(21):1965‑75. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29791822/
Brodie D, Bacchetta M. Extracorporeal Membrane Oxygenation for ARDS in Adults. N Engl J Med. 17 nov 2011;365(20):1905‑14.