La fausse couche est la complication la plus fréquente en début de grossesse (17 % des grossesses cliniquement connues) et elle passe souvent inaperçue [1]. Elle survient généralement avant dix semaines d’aménorrhée (SA). Il a été longtemps, et il est encore trop souvent, conseillé d’attendre trois mois avant une nouvelle grossesse – voire même six mois selon le rapport de 2014 de l’Organisation Mondiale de la Santé – afin de permettre une bonne « récupération » du corps. Cela ne repose pas sur des preuves solides.
Une étude de grande envergure
Luchin F. Wong, et al., se sont intéressés à la relation entre un intervalle inter-grossesse (IIG : intervalle entre dernière fausse-couche et nouvelle grossesse) très court (inférieur à trois mois) et la survenue d’une naissance vivante (critère de jugement principal) ou la survenue de complications obstétricales lors de la nouvelle grossesse (critère de jugement secondaire : fausses-couches cliniques ou pré-cliniques, naissances prématurées, pré-éclampsie et diabète gestationnel) [2].
Il s’agissait d’une analyse secondaire des données de 677 femmes âgées de 18 à 40 ans issues de l’étude EAGeR, essai randomisé multicentrique en double aveugle réalisé aux États-Unis, comparant l’aspirine à petite dose à un placébo chez des femmes ayant déjà fait une ou deux fausse-couches et cherchant activement à avoir un enfant [3]. Ces 677 femmes ont toutes obtenu une grossesse et l’intervalle avant une nouvelle grossesse a été étudié par périodes de trois mois (0-3M, 3-6M, 6-9M, 9-12M, > 12M).
Le nombre de naissances vivantes est demeuré stable quel que soit l’IIG
L’âge moyen de la fausse-couche précédente a été de 8,6 ± 2,8 SA, et toutes les fausse-couches précédentes avaient eu lieu avant 19 SA.
L’IIG médian avant une nouvelle grossesse a été de 4,3 mois avec 2,7 % de grossesse le premier mois, 33,2 % dans les trois mois et 65,7 % dans les six mois.
Entre un IIG inférieur à trois mois (80,4 %) et un IIG supérieur à trois mois (74,6 %), il n’y pas eu de différence significative du nombre de naissances vivantes (risque relatif ajusté = 1,07, l'intervalle de confiance à 95 % = 0,98-1,16) ni du nombre de complications obstétricales, même après ajustement selon l’âge, la race, l’indice de masse corporelle, les critères d’éligibilité et le nombre de mois pour concevoir depuis la dernière grossesse.
Des limites certes, mais des résultats importants
Ce travail a été la première étude incluant des IIG si courts (moins de trois mois contre six mois pour les précédentes) avec une large cohorte de femmes recrutées prospectivement en pré-conceptionnel et suivies de façon très rapprochée (permettant des diagnostics très précoces des fausses-couches).
Mais il a des limites, la principale étant sa construction sur l’analyse secondaire d’un autre essai dont le design et la puissance n’étaient pas prévus pour cette étude.
Toutefois, elle présente assez de points forts pour que ses résultats attirent notre attention et soient pris en compte dans la pratique clinique.
En effet, elle suggère qu’un intervalle de moins de trois mois entre fausse-couche et nouvelle grossesse ne réduit pas les chances d’obtenir une naissance vivante.
Cela représente une avancée importante, notamment chez les nombreuses patientes souffrant de ces délais imposés avant une nouvelle grossesse comme, par exemple, les couples infertiles, les femmes de plus de 35 ans ou encore celles souffrant de maladies chroniques n’ayant que de courtes fenêtres temporelles pour concevoir.
Ces résultats ont depuis été confirmés par d’autres études, dont une récente en décembre 2017, ne trouvant pas de différence significative du nombre de naissances vivantes en cas d’IIG inférieur à trois mois et concluant même à un risque de future fausse-couche plus bas chez les patientes ayant une nouvelle grossesse dans les trois mois suivant la dernière fausse-couche [4].
Ventura SJ, et al. Estimated pregnancy rates and rates of pregnancy outcomes for the United States 1900-2008 . National Center for Health Statistics 2012. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22970648/
Wong LF , et al. The effect of a very short interpregnancy interval and pregnancy outcomes following a previous pregnancy loss. Am J Obstet Gynecol. 2015 Mar.;212(3):375.e1–375.e11. doi: 0.1016/j.ajog.2014.09.020. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25246378/
Schisterman EF, et al. A randomised trial to evaluate the effects of low-dose aspirin in gestation and reproduction: design and baseline characteristics. Paediatr Perinat Epidemiol. 2014 May.;28(3):275. doi: 10.1111/ppe.12088. Epub 2013 Oct 11. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24118062/
Sundermann AC, et al. Interpregnancy interval after pregnancy loss and risk of repeat miscarriage. Obstet Gynecol. 2017 Dec.;130(6):1312-1318. doi: 10.1097/AOG.0000000000002318. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29112656/